Des nouvelles du royaume
Aujourd’hui le peuple du royaume est en émoi car le roi s’apprête à tenir un discours exceptionnel que les experts qualifient déjà d’historique. D’aucuns soupçonnent que le souverain a l’intention de déclarer la guerre aux territoires de l’est où l’on a récemment découvert de l’or dans les rêvières. Cette suspicion repose sur le redoublement de l’activité des usines à rêves et sur la commande qu’a passé le ministère des frontières d’une très grande maquette des territoires de l’est. Dans ces contrées reculées, vivent ceux que l’on appelle les « oiseaux », poètes insoumis ou marginaux qui résistent encore à la volonté du seigneur.
En ce moment, tout le monde parle aussi des 5 grandes statues noires que les archéologues ont déterrés dans la région sud. Les scientifiques peinent à déterminer la matière dont sont faits ces géants mais ont tout de même réussi à les dater du vingt et unième siècle. A en croire leurs analyses, cette matière recèlerait une puissance encore jamais vu dans l’histoire des couleurs.
Cette découverte nourrit inévitablement l’hypothèse d’une solution au problème artistique qu’endure notre communauté et tous espèrent que le roi dira quelques mots à ce sujet lors de son discours.
Depuis ce matin, la fête bat son plein dans le quartier des moulins où les tables et les chapiteaux sont dressés pour la grande occasion. Il est difficile de décrire avec quelle excitation les habitants attendent la venue de leur souverain. Parmi les invités, nous constatons la présence surprenante du peintre officiel de la cour alors que, dit-on, il aurait été puni pour avoir peint son altesse avec un palmier sur la tête.
Enfin, le cortège officiel et son tambour annonce l’arrivée de celui que tout le monde redoute. Porté par ses gardes du corps, le roi se présente, comme à son habitude, enveloppé dans son mythique drapeau rouge. Parmi les spectateurs, il se chuchote que le grand homme s’est endormi. La musique s’arrête et le rideau tombe sur la scène, encore en construction. Les convives se dissipent dans la lumière brune d’un ciel de printemps et malgré les attentes et le tapage médiatique, le roi ne dira rien de ses terribles desseins.
Pour cette 9ème exposition chez Rossicontemporary, je présente de nouveaux dessins aux crayons de couleurs, feutres et encres sur papier de petit et moyen format. Contrairement à l’histoire que je viens de raconter, aucun récit précis ne sous tend l’ensemble exposé. Chaque dessin peut se lire comme un « monument pour une indicible chose » ou encore comme des chroniques picturales de mon royaume où les sujets, vaquant à leurs affaires poétiques, demeurent inconscient des explorations et des préoccupations dont ils sont l’objet.